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couverture Au pays des riches oisifs

Stephen Leacock

Au pays des riches oisifs

Aventures en Arcadie

À travers les tribulations humoristiques de riches désœuvrés, d’affairistes et de filous patentés, une critique acerbe du capitalisme signée par « le Mark Twain canadien »


Bienvenue à Plutoria, métropole imaginaire des États-Unis où une minorité de puissants, notables et autre arnaqueurs se réunissent au sein du club du Mausolée pour accaparer la richesse collective et détourner la démocratie en leur faveur ; où les églises se vident au profit de sectes pseudo-orientales ; où les universités sont inféodées aux nouveaux riches – ces oisifs qui ne savent plus comment dépenser leur argent…

À travers une galerie de personnages hauts en couleur, dont on suit les déambulations humoristiques, le romancier et professeur d’économie Stephen Leacock analyse dès 1914, avec un regard acéré et caustique, la perversion des pratiques et des mœurs engendrée par un capitalisme alors en plein essor.

Publié deux ans après son classique Bienvenue à Mariposa (1912), qui décrivait avec ironie et tendresse la vie d’une petite bourgade canadienne, Au pays des riches oisifs en offre le miroir inversé avec la même réussite.


Traduit de l’anglais (Canada) par Stéphane Brault

Postface de Gerald Lynch (traduite par Marie Ollivier-Caudray)

Couverture de Seth

Collection « Les Insensés » n° 33


Parution : 18 janvier 2018

256 pages – 23 euros

ISBN : 978-2-37498-101-7


Stephen Leacock


© DR

Issu d’une famille paysanne de l’Ontario, Stephen Leacock (1869-1944), surnommé le « Mark Twain canadien », devint professeur d’économie politique à l’université McGill de Montréal de 1908 à 1936. Auteur de savants ouvrages universitaires, ainsi que de biographies de Mark Twain et Charles Dickens, il publia parallèlement une vingtaine d’ouvrages humoristiques qui demeurent des classiques incontournables, comme Bienvenue à Mariposa (Wombat, 2014) et, dans le registre de la parodie, L’Île de la tentation (Wombat, 2016).

Il est aussi l’auteur de deux essais théoriques pionniers sur l’humour littéraire : Humor : Its Theory and Its Technique (1935) et Humor and Humanity (1937). C’est dire le sérieux avec lequel le professeur Leacock considérait ce sujet, allant jusqu’à déclarer dans la préface de Bienvenue à Mariposa : « Personnellement, j’aurais préféré écrire Alice au pays des merveilles plutôt que toute l’Encyclopaedia Britannica. »

Son influence sur la littérature comique anglophone du XXe siècle fut considérable, de Robert Benchley jusqu’à Woody Allen et aux Monty Python. Comme disait un de ses admirateurs : « Stephen Leacock est un des types les plus drôles que je connaisse… Une fois qu’on a commencé à le lire, on ne peut plus s’arrêter » (Groucho Marx).

Un véritable auteur classique, à la fois profond et jubilatoire, qui demeure d’une modernité exemplaire.


Les livres de Stephen Leacock chez Wombat

Bienvenue à Mariposa (plus d’infos)

L’Île de la tentation & autres naufrages amoureux (plus d’infos)

Extrait

Majestueux édifice de pierre blanche inspiré de l’Antiquité grecque, le club du Mausolée occupe le coin le plus tranquille de la plus belle rue résidentielle de la ville. Tout autour poussent de grands ormes dont la frondaison accueille des oiseaux aux chants mélodieux – des oiseaux parmi les espèces les plus coûteuses.

Aux heures les plus douces de la matinée, il tombe sur la rue un calme presque révérencieux. De longues automobiles la parcourent dans un bruit feutré de moteur, des automobiles occupées par les seuls chauffeurs, qui rentrent à dix heures trente après avoir déposé les millionnaires les plus matinaux à leurs bureaux du centre-ville. Le soleil filtre à travers le feuillage des ormes, illuminant d’onéreuses nounous poussant des landaus richement ornés, où dorment des enfants non moins richement dotés. Certains d’entre eux valent des millions et des millions. En Europe, il est vrai, on peut apercevoir, avenue Unter den Linden ou sur les Champs-Élysées, un petit prince ou une petite princesse qui fait sa promenade, escorté par une garde d’honneur, dans un cliquetis de sabres et d’éperons, mais cela n’est rien. La chose est bien moins impressionnante, au sens fort du terme, que le spectacle qui se déroule chaque matin dans Plutoria Avenue, face au club du Mausolée, dans le quartier le plus tranquille de la ville. Ici, on peut assister aux premiers pas d’une princesse toute menue, mignonne à croquer dans son costume de lapin, qui possède en bonne et due forme une cinquantaine de distilleries. Dans cette voiturette de bois laqué, cette frêle petite tête coiffée d’un bonnet qui passe lentement à côté de vous contrôle de son berceau une immense société par actions du New Jersey. Le procureur général des États-Unis la poursuit dans une vaine tentative de la faire se dissoudre en ses compagnies constituantes. Ce bambin de quatre ans vêtu de kaki incarne la fusion de deux grandes lignes de chemin de fer. Dans la lumière qui filtre à travers les feuilles, il est possible de croiser toutes sortes de petits princes et de petites princesses bien plus réels que les misérables derniers rejetons de l’espèce européenne. Un nombre incalculable de nourrissons agitent leurs hochets d’ivoire à cinquante dollars en se saluant mutuellement d’un gargouillis inarticulé. Un million de dollars d’actions privilégiées fait risette au passage à un intérêt majoritaire sagement assis dans une voiturette tirée par une bonne d’enfant d’importation. Et pendant tout ce temps, le soleil brille à travers le feuillage des ormes, les oiseaux chantent et les moteurs ronronnent, si bien que le monde, tel qu’il se présente sur Plutoria Avenue, est l’endroit le plus plaisant qui soit.

Juste sous Plutoria Avenue, sur la première rue parallèle, les arbres disparaissent rapidement, et les bâtiments de brique et de pierre de la ville surgissent. Déjà, de l’avenue, on voit le sommet des gratte-ciel des grandes rues commerciales et l’on entend le bruit – ou du moins, la rumeur – du métro aérien, grande source de dividendes. Et au-delà encore, la ville perd sa lumière et son espace, s’étiolant dans un enchevêtrement de petites rues bordées de masures insalubres.

En fait, si vous pouviez accéder au toit du club du Mausolée même, sur Plutoria Avenue, vous pourriez presque les apercevoir, ces taudis. Mais pourquoi se donner cette peine ? Si, au contraire, vous n’allez jamais sur le toit, mais restez plutôt au milieu des plantes exotiques, à profiter d’un bon dîner, vous ne saurez rien de leur existence, ce qui vaut bien mieux.

Un grand escalier mène au club, un escalier si grand, aux marches couvertes d’un tapis si agréable, que l’effort physique exigé par la translation de l’automobile à l’entrée s’en trouve grandement réduit. Même les membres les plus fortunés de l’établissement n’ont pas honte de grimper l’escalier une marche à la fois, levant un pied après l’autre, et durant les périodes plus difficiles, quand des nuées sombres s’accumulent au-dessus de la Bourse, on peut voir tous les membres du club du Mausolée se traîner de cette façon, affichant le regard tourmenté de ceux qui se demandent où mettre la main sur un malheureux petit demi-million de dollars…