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Hell

Yasutaka Tsutsui

Hell

Un yakuza présomptueux assassiné par un clan rival, un infirme carriériste et séducteur, un homme marié fou amoureux d’une jeune starlette, un fringant acteur de kabuki qui suscite les jalousies, un couple de sans-abri morts de froid dans un parc : tous ces personnages, qui un jour se sont croisés dans leur vie, se retrouvent en Enfer.

Errant dans une ville indéterminée, les fantômes, désormais détachés de toute émotion, dévident l’écheveau de leurs existences passées dont ils revivent – sans colère ni haine – les mensonges, les trahisons et les erreurs, jusqu’aux circonstances tragicomiques de leurs morts. Au fond, chacun n’avait-il pas créé de son vivant les conditions de son propre enfer ?

Mais, à mesure que des bribes du passé resurgissent, les fantômes reviennent se mêler aux vivants. L’Enfer est-il réel, ou le simple fruit du rêve collectif de ses protagonistes ? Et si cet Enfer-là n’était qu’une sorte de purgatoire, une transition vers un Au-delà encore à découvrir ?

Construit sur un savant jeu de flash-back, ce roman polyphonique propose une étonnante variation aux accents métaphysiques, sombre et parfois cocasse, sur nos relations aux autres, qui n’est pas sans évoquer la veine du nouveau cinéma fantastique japonais, de Hirokazu Kore-eda (After Life) à Kiyoshi Kurosawa.


Traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier

Couverture de Fredox

« Iwazaru » nº3


Parution : 5 septembre 2013

160 pages – 17 €

Yasutaka Tsutsui


© Bungeishunju Ltd.

Né en 1934 à Ôsaka, Yasutaka Tsutsui est l’une des voix majeures de la science-fiction et du fantastique japonais. Il débute à la fin des années 1960 par des textes où l’on décèle les influences de Philip K. Dick et de J. G. Ballard. Son œuvre imposante a été couronnée de nombreux prix, dont le prix Kawabata, le prix Tanizaki et le prix Izumi Kyôka.

Tsutsui a été élevé au rang de Chevalier des Arts et des Lettres par la France, où trois de ses livres ont été traduits : Les Cours particuliers du professeur Tadano, Le Censeur des rêves et La Traversée du temps. Il est aussi l’auteur du roman Paprika, dont l’adaptation en dessin animé par Satoshi Kon en 2006 a connu un succès international.


Les livres de Yasutaka Tsutsui aux Nouvelles Éditions Wombat

Hell

Les Hommes salmonelle sur la planète Porno (plus d’infos)

Extrait

“ Le jour où Yoshitomo Izumi pénétra dans le bar, il fut étonné de voir son ancien supérieur, Takeshi Uchida, attablé seul à une table au milieu de la salle. Alors que les silhouettes des autres personnes restaient floues, la figure de Takeshi était particulièrement nette et attira aussitôt son regard. Sa présence l’intriguait : que faisait donc ici son ancien patron, qui s’était toujours bien comporté avec lui et l’avait même soutenu dans sa carrière ? Pourquoi se retrouvait-il en Enfer ?

Izumi s’approcha.

– Bonjour patron. C’est moi, Izumi.

Takeshi était capable d’éclater de rire avec un parfait naturel, même quand la situation n’était pas drôle. À l’occasion de ces retrouvailles, il rit avec cette même bonhomie qui mettait tellement à l’aise ses clients. Il faut dire que la situation ne manquait pas de sel, car Izumi s’était adressé à lui d’une voix mêlée de respect et d’affection, comme à l’époque où il entrait dans le bureau de son supérieur.

– Alors, toi, c’était un accident d’avion ? Assieds-toi donc.

En Enfer, il suffisait de fixer les gens du regard pour capter des moments de leur vie. Ce n’était pas une bulle explicative qui apparaissait au-dessus de leur tête, comme dans un manga, ni de la télépathie. La vérité surgissait d’elle-même comme une vision en arrière-plan de son propre esprit. Aussi, lorsque Izumi s’assit, il eut la surprise de découvrir que Takeshi avait eu une liaison avec sa femme. Il vit se dérouler tout ce qui s’était passé, à travers les yeux de Takeshi, ceux de son épouse Sachiko, mais aussi les siens.

Takeshi comprit aussitôt, à l’expression du visage d’Uchida, que ce dernier savait tout, mais il ne chercha pas à se défendre. Il se contenta de hocher la tête.

– Bon, tu es au courant maintenant.

– Patron...

En voyant son ancien supérieur sans béquilles, Izumi comprit qu’il regardait la forme éternelle de Takeshi. Son propre corps, horriblement déchiqueté et carbonisé dans le crash aérien, était de nouveau intact, aussi Izumi comprit-il douloureusement où il se trouvait. Était-ce la raison pour laquelle il n’éprouvait ni colère, ni haine envers Takeshi, pas même une pointe de jalousie ?

Takeshi trouva étrange qu’Izumi ne change pas d’attitude envers lui, alors qu’il avait tout appris de sa liaison. Peut-être était-ce une des caractéristiques de l’Enfer. La colère semblait n’y avoir aucun sens. Pourquoi être jaloux ? Certes, de son vivant, Takeshi était déjà d’un caractère peu émotif, mais était-ce le cas d’Izumi ? Takeshi éprouva une étrange empathie envers son placide collaborateur.

Puis, brusquement, Takeshi se retrouva dans la peau d’Izumi. Un après-midi, il était rentré tôt du travail et avait eu la surprise de découvrir des chaussures d’homme dans l’entrée. Montant à pas de loup l’escalier qui menait à l’étage, il entendit les gémissements de sa femme. La porte entrouverte de la chambre à coucher laissait échapper une odeur chaude et musquée accompagné des grincements du lit. Épiant à l’intérieur de la chambre, il vit remuer ses propres fesses entre les jambes écartées de Sachiko. Cette scène s’était-elle vraiment produite ? Izumi les avait-il vus et en aurait-il effacé toute trace de sa mémoire ? Ou bien était-ce une expérience vécue par Takeshi, mais vue à travers les yeux d’Izumi ? Décidément, il n’y avait qu’en Enfer qu’on pouvait vivre une expérience érotique pareille. ”

La presse à propos de Hell

Yasutaka Tsutsui : « L’enfer, c’est les autres »
Dossier de Martin-Pierre Baudry (extrait de Chro nº2, octobre 2013) (télécharger le pdf)

« Un roman original et prenant, qui offre un étonnant voyage au pays des morts, dans une vision à la fois postmoderne et bouddhiste. » (Patrick Mackie, Le Journal du Japon)

« Hell est un livre comme on en lit peu, totalement atypique, envoûtant et énigmatique, plus proche de l’anticipation sociale de J. G. Ballard ou de Will Self que de la science-fiction ou du fantastique. » (René-Marc Dolhen, Noosphère)

« Mené de main de maître, Hell est traité à l’inverse d’une pièce de théâtre japonais : l’une des caractéristiques de bon nombre de pièces de Nô est ainsi de mettre en scène des fantômes qui reviennent hanter les vivants, incapables de se débarrasser de leur attachement au monde. Au contraire, l’auteur met ici en scène des morts qui ont perdu tout désir superflu, ce qui permet de montrer un monde débarrassé des masques que l’on a coutume de porter pour vivre en société. La relation aux autres n’est-elle pas l’un de ces masques, le plus difficile à retirer ? C’est l’une des nombreuses questions que pose l’auteur dans ce livre fascinant. » (Tony Sanchez, Actu SF)

« “C’en était presque drôle. Pourquoi donc s’était-il autant accroché à sa vie ? Pourquoi avait-il eu si peur de passer de l’autre côté ?” Ici, pas de diablotins rouges, de décors dantesques ni d’effets de manche grandiloquents. Chez Yasutaka Tsutsui, l’Enfer est un bar sans charme. Sas de décompression dans lequel les émotions n’ont plus cours, l’au-delà devient l’occasion pour les protagonistes de comprendre qu’ils ont tous, de leur vivant, fait ce qu’il fallait pour finir en enfer – mais y sont-ils vraiment ? Pointant la violence de nos relations aux autres, conditionnées par la haine, l’égoïsme, la jalousie, ce court roman prend des airs de fable sombre et éthérée, pimentée par des passages tragi-comiques, comme ce crash d’avion à la dramaturgie “gâchée” par le comportement grotesque des victimes...
Les éditions Wombat continuent d’explorer une littérature japonaise habile à manier l’humour ou le récit de genre pour dire la dureté de notre monde contemporain. Car quand Tsutsui raconte des histoires de fantômes, c’est avant tout pour signer un roman social. » (Mikaël Demets, Transfuge)