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couverture Lettres de burn-out

Jean-Luc Coudray

Lettres de burn-out

L’art délicat de jeter l’éponge







La vie reprend son cours,

mais en a-t-on envie ?


L’existence est devenue trop dure : tout le monde jette l’éponge.

Un président de la République renonce au pouvoir, un spectateur arrête de voir des films, un psychiatre fuit ses patients, une petite fille refuse de grandir, un cosmonaute ne revient pas sur Terre… Mais encore : un arbre arrête de pousser, un avion refuse de décoller, un nounours en peluche ne veut plus être gentil…

Parents, enfants, employés, PDG, médecins, CRS, automobilistes, artistes, animaux et objets, tous s’effondrent


Ces cinquante lettres (pas une de plus, l’auteur ayant eu un coup de barre) caustiques, parfois poétiques ou cocasses, sont autant d’invitations au « pas de côté », où chacun revendique alors son droit au lâcher prise et au parler vrai. Car l’écroulement est un moment de lucidité. Ces courriers disent enfin tout, avec une sincérité frontale dont notre époque n’a pas l’habitude.

Or, dans notre société de performance, le véritable courage n’est-il pas de craquer ?


Parution : 8 octobre 2020

Couverture de François Ayroles

« Les Insensés » nº41

192 pages –16 euros

ISBN : 978-2-37498-182-6


Ce livre est également disponible en e-book (formats ePub et PDFweb)

Jean-Luc Coudray


© DR

Né en 1960 à Bordeaux, Jean-Luc Coudray écrit des nouvelles, récits, essais, textes humoristiques, poésies, strips, etc. Il a collaboré entre autres à Sud-Ouest, Fluide glacial, Psikopat et La Décroissance. En tant que scénariste ou écrivain, il a travaillé avec les dessinateurs Moebius, Lewis Trondheim, son frère Philippe Coudray ou encore Isabelle Merlet (L’Amusant Musée ou Le Jeu de l’art, chez Wombat).

Outre ses propres dessins réunis sous le titre Je suis heureux par vengeance ! (La Boîte à bulles), Jean-Luc Coudray a publié plus de cinquante livres, parmi lesquels les textes Le Guide philosophique de l’argent (Le Seuil), Monsieur Mouche (i Éditions) ou encore Lettres d’engueulade (L’Arbre vengeur).


Les livres de Jean-Luc Coudray aux Nouvelles Éditions Wombat

L’Amusant Musée ou Le Jeu de l’art (plus d’infos)

Lettres de burn-out

Extrait : « Un invité ne rentre plus chez lui »

Un invité ne rentre plus chez lui


Chers Amis,

Je vous remercie de l’excellente soirée que j’ai passée avec vous. Vous m’avez mis en valeur, servi les meilleurs plats et amusé par votre humour.

En conséquence, je reste chez vous.

Vous savez comme moi que l’amitié intermittente n’en est pas une.

Puisque vous m’appréciez, vous vous contrediriez en me renvoyant à ma vie misérable.

Vous n’ignorez pas que je vis seul, me chauffe mal, dors dans l’humidité, manque d’éclairage, me nourris de pâtes à l’eau, me distrais de mauvais livres.

Peu sociable, anxieux et obsessionnel, j’ai une conversation irritante, hérissée de détails et d’évidences. De ce fait, je n’ai pas d’amis, excepté vous, qui semblez m’aimer sans condition.

Je ne veux pas croire que vous m’invitez par pitié, m’offrant une fois par an ce que je n’aurai jamais : une écoute, une maison chaleureuse, une famille soudée. Je sais qu’il y a un plaisir particulier à extraire de son destin une personne infortunée, corrigeant pour une soirée les déterminismes de la vie. Cela peut aller jusqu’à aimer provisoirement un individu ennuyeux pour étudier l’amour universel, puis se confirmer que l’on n’est pas à la hauteur.

Vous ne pouvez être cela. J’ai senti dans vos regards cette sincérité qui réchauffe le cœur, qui désengourdit l’âme.

Mais peut-être étiez-vous authentique grâce à cette sécurité que vous apportait la certitude de mon départ prochain ?

Je sais l’homme ambivalent et complexe. C’est pourquoi je ne trancherai pas. Aux moments où vous vous êtes oubliés, où, dans la ferveur des échanges, vous avez cessé de penser à vos identités de classe privilégiée, a pu poindre une véritable innocence. Entre les politesses préfabriquées et les élégances apprises se sont glissés, sans doute à votre insu, quelques clins d’œil véritables, sourires naïfs, gentillesses spontanées.

Vous n’êtes pas totalement mauvais. Vous craignez seulement d’être mélangés, confondus avec ceux qui ne vous ressemblent pas. C’est bien normal. À votre place, je m’accrocherais aussi à mon bateau.

Aussi, lorsque vous êtes certains que je quitterai en fin de soirée votre séjour en vous remerciant de vos attentions, vous accédez au plaisir d’être bons. Il est vrai qu’il est difficile de s’en priver. C’est pourquoi les ratés comme moi vous sont nécessaires.

Malheureusement, j’ai pris goût à cette part d’humanité qui a filtré de vos cuirasses. Et à vos beaux fauteuils qui ne gâchent rien.

Incapable de revenir à ma vie d’autrefois, je m’incruste.

Ma désobligeance vous contraindra à prendre parti. Vous n’aurez ainsi d’autre choix que l’immense générosité de me donner une chambre ou la cynique froideur de me jeter à la rue.

C’est un peu comme la guerre. Elle évacue les tièdes, ne produisant que des héros ou des salauds. Les conflits simplifient le monde. Amis, ennemis, tout devient clair.

Bien sûr, le prix de la clarté, c’est la disparition de l’ambiguïté, cette pénombre qui fait liant.

Tout le monde profite du flou, les riches qui adoucissent leur cruauté, les pauvres qui grappillent. Le mensonge fabrique une vérité, celle d’un monde un peu moins dur.

Hélas pour vous, mon perfectionnisme me pousse à chasser l’ombre.

Avant que vous ne me refermiez pour toujours votre porte, je vous informe, au cas où, que j’aurais bien aimé la chambre violette, celle du deuxième étage, inutilisée et donnant sur le jardin. J’y aurais poursuivi mon existence solitaire, me contentant de vous voir vivre sans jamais intervenir.

Après tout, votre mise en scène manque d’un spectateur.

Mais j’oublie. Les spectateurs quittent le théâtre une fois passé vingt-trois heures.

Bonne nuit.

Extrait : « Des parents lâchent leur enfant »

Des parents lâchent leur enfant


Cher Fils,

Voici un petit mot que tu trouveras sur la table de la cuisine pour t’informer que nous ne sommes plus tes parents.

Nous sommes en fugue dans les îles, t’abandonnant simplement.

Nous ne nous faisons aucun souci pour toi. Nous avons vu que, depuis ta naissance, tu es pris en charge par les tablettes tactiles, les jeux vidéos, les dessins animés de la télévision, l’Éducation nationale, les animations des fast-foods et la publicité. Les objets connectés attirent ton attention plus sûrement que nos visages aimants, les réseaux sociaux plus que nos paroles. Intégré dans ce filet relationnel et marchand, tu es, à l’âge de quatre ans, déjà parfaitement autonome. Puisque notre apport se limite au gîte et au couvert, nous laissons cette responsabilité aux services sociaux.

Tu seras même avantagé par rapport aux autres enfants. Car, en disparaissant, nous enlevons le dernier frein qui entravait ta socialisation. Désormais pur rejeton de l’État, de la technique et du marketing, tu ne porteras plus le poids des parents culpabilisants qui opposaient des liens archaïques à ton avenir numérique.

Pervers polymorphe définitif, tu réussiras dans la politique, les affaires ou le journalisme, qui sont une identique chose, doublant aisément tes confrères que des parents naïfs auront poussé de la perversion à la névrose, les enfermant dans l’inhibition, le doute et l’inquiétude morale.

Ta faille narcissique, que notre départ renforce, fera de toi une bête blessée dangereuse et efficace.

Nous avons choisi, nous tes parents, le camp des perdants. Nous vivons désormais de noix de coco, de coquillages et d’ombre sur un morceau de terre oublié par la mondialisation. Choyés par la biosphère, nous laissons la technosphère te materner.

De toute façon, quand tu seras grand, le transhumanisme pucera ton cerveau, modifiant ta filiation.

Pendant que tu te battras pour une place au soleil, pense que tes deux parents sont déjà au soleil, vivant comme des riches dans le paradis fiscal de ceux qui ne possèdent rien.

Peut-être auras-tu un jour des enfants. Ce ne seront pas les tiens. Pucés, modifiés génétiquement, ravis par la réalité augmentée, l’intelligence artificielle et la propagande, ils ne te devront que l’impulsion dérisoire qui les aura projetés dans l’existence.

En attendant cet avenir dont tu ne seras pas le héros, dis bonjour aux mille amis que tu possèdes sur tes réseaux sociaux, entretiens les multiples personnages dont tu animes les exploits dans les jeux sur le net, peaufine ton profil dans les moteurs de recherche.

Pendant ce temps, dis-toi que tes parents vivent sans miroir, et que le vent qui ride la surface de la mer trouble leurs reflets de la présence du monde.

T’ayant déjà perdu alors que nous t’avions avec nous, tu ne nous manques pas.

Tu nous remercieras un jour d’avoir, par notre départ, éclairci une situation.

Bonne chance.